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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/519

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De la Vérité en général. Liv. IV.

ſignifient, ſans conſiderer ſi nos Idées ſont telles qu’elles exiſtent ou peuvent exiſter dans la Nature. Mais au contraire les Propoſitions renferment une vérité réelle, lorſque les ſignes dont elles ſont compoſées, ſont joints ſelon que nos Idées conviennent ; & que ces Idées ſont telles que nous connoiſſons capables d’exiſter dans la Nature ; ce que nous ne pouvons connoître à l’égard des Subſtances qu’en ſachant que telles Subſtances ont exiſté.

§. 9.La Fauſſeté conſiſte à joindre les noms autrement que leurs idées ne conviennent. La Vérité eſt la dénotation en paroles de la convenance ou de la diſconvenance des Idées, telle qu’elle eſt. La Fauſſeté eſt la dénotation en paroles de la convenance ou de la diſconvenance des Idées, autre qu’elle n’eſt effectivement. Et tant que ces Idées, ainſi déſignées par certains ſons, ſont conformes à leurs Archetypes, juſque-là ſeulement la vérité eſt réelle ; de ſorte que la Connoiſſance de cette Eſpèce de vérité conſiſte à ſavoir quelles ſont les Idées que les mots ſignifient, & à appercevoir la convenance ou la diſconvenance de ces Idées, ſelon qu’elle eſt déſignée par ces mots.

§. 10.Les Propoſitions générales doivent être traitées plus au long. Mais parce qu’on regarde les Mots comme les grands vehicules de la Vérité & de la Connoiſſance, ſi j’oſe m’exprimer ainſi, & que nous nous ſervons de mots & de Propoſitions en communiquant & en recevant la Vérité, & pour l’ordinaire en raiſonnant ſur ſon ſujet, j’examinerai plus au long en quoi conſiſte la certitude des Véritez réelles, renfermées dans des Propoſitions, & où c’eſt qu’on peut la trouver, & je tâcherai de faire voir dans quelle eſpèce de Propoſitions univerſelles nous ſommes capables de voir certainement la vérité ou la fauſſeté qu’elles renferment.

Je commencerai par les Propoſitions générales, comme étant celles qui occupent le plus nos penſées, & qui donnent le plus d’exercice à nos ſpeculations. Car comme les Véritez générales étendent le plus notre Connoiſſance & qu’en nous inſtruiſant tout d’un coup de pluſieurs choſes particuliéres, elles nous donnent de grandes vûës & abregent le chemin qui nous conduit à la Connoiſſance, l’Eſprit en fait auſſi le plus grand objet de ſes recherches.

§. 11.Vérité Morale, & Metaphyſique. Outre cette Vérité, priſe dans ce ſens reſſerré dont je viens de parler, il y en a deux autres eſpèces. La prémiére eſt la Vérité Morale, qui conſiſte à parler des choſes ſelon la perſuaſion de notre Eſprit, quoi que la Propoſition que nous prononçons, ne ſoit pas conforme à la réalité des choſes. Il y a, en ſecond lieu, une Vérité Métaphyſique, qui n’eſt autre choſe que l’exiſtence réelle des choſes, conforme aux idées auxquelles nous avons attaché les noms dont on ſe ſert pour déſigner des choſes. Quoi qu’il ſemble d’abord que ce n’eſt qu’une ſimple conſidération de l’exiſtence même des choſes, cependant à le conſiderer de plus près, on verra qu’il renferme une Propoſition tacite par où l’Eſprit joint telle choſe particuliere à l’idée qu’il s’en étoit formé auparavant en lui aſſignant un certain nom. Mais parce que ces conſidérations ſur la Vérité ont été examinées auparavant, ou qu’elles n’ont pas beaucoup de rapport à notre préſent deſſein, c’eſt aſſez qu’en cet endroit nous les ayions indiquées en paſſant.