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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/520

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Des Propoſitions univerſelles, de leur Vérité, &c.


CHAPITRE VI.

Des Propoſitions univerſelles, de leur Vérité, & de leur Certitude.


§. 1.Il eſt néceſſité de parler des Mots en traitant de la Connoiſſance.
QUoique la meilleure & la plus ſure voye pour arriver à une connoiſſance claire & diſtincte, ſoit d’examiner les idées & d’en juger par elles-mêmes, ſans penſer à leurs noms en aucune maniére ; cependant c’eſt, je penſe, ce qu’on pratique fort rarement, tant la coûtume d’employer des ſons pour des idées a prévalu parmi nous. Et chacun peut remarquer combien c’eſt une choſe ordinaire aux hommes de ſe ſervir des noms à la place des idées, lors même qu’ils méditent & qu’ils raiſonnent en eux-mêmes, ſur-tout ſi les idées ſont fort complexes & compoſées d’une grande collection d’idées ſimples. C’eſt là ce qui fait que la conſidération des mots & des Propoſitions eſt une partie ſi néceſſaire d’un diſcours où l’on traite de la Connoiſſance, qu’il eſt fort difficile de parler intelligiblement de l’une de ces choſes ſans expliquer l’autre.

§. 2.Il eſt difficile d’entendre des véritez générales ſi elles ne ſont exprimées par des expreſſions verbales. Comme toute la connoiſſance que nous avons ſe réduit uniquement à des véritez particuliéres, ou générales, il eſt évident, que, quoi qu’on puiſſe faire pour parvenir à l’intelligence des véritez particulieres, l’on ne ſauroit jamais faire bien entendre les véritez générales, qui ſont avec raiſon l’objet le plus ordinaire de nos recherches, ni les comprendre que fort rarement ſoi-même, qu’entant qu’elles ſont conçuës & exprimées par des paroles. Ainſi, en recherchant ce qui conſtituë notre Connoiſſance, il ne ſera pas hors de propos d’examiner la vérité & la certitude des Propoſitions Univerſelles.

§. 3.Il y a une double Certitude, l’une de Vérité et l’autre de Connoiſſance. Mais afin de pouvoir éviter ici l’illuſion où on nous pourroit jetter l’ambiguité des termes, écueil dangereux en toute occaſion, il eſt à propos de remarquer qu’il y a une double certitude, une Certitude de Vérité & une Certitude de Connoiſſance. Lorſque les mots ſont joints de telle maniére dans des Propoſitions, qu’ils expriment exactement la convenance ou la diſconvenance telle qu’elle eſt réellement, c’eſt une Certitude de Vérité. Et la Certitude de Connoiſſance conſiſte à appercevoir la convenance ou la diſconvenance des Idées, entant qu’elle eſt exprimée dans des Propoſitions. C’eſt ce que nous appelons ordinairement connoître la vérité d’une Propoſition, ou en être certain.

§. 4.On ne peut être aſſûré d’aucune Propoſition générale qu’elle eſt véritable lorſque l’Eſſence de chaque Eſpèce dont il y eſt parlé, n’eſt pas connuë. Or comme nous ne ſaurions être aſſûrez de la vérité d’aucune Propoſition générale, à moins que nous ne connoiſſions les bornes préciſes, & l’étenduë des Eſpèces que ſignifient les Termes dont elle eſt compoſée, il ſeroit néceſſaire que nous connuſſions l’Eſſence de chaque Eſpèce, puiſque c’eſt cette Eſſence qui conſtituë & termine l’Eſpèce. C’eſt ce qu’il n’eſt pas mal aiſé de faire à l’égard de toutes les Idées Simples & des Modes ; car dans les Idées Simples & dans les Modes, l’Eſſence Réelle & la nominale n’eſt qu’une ſeule & même choſe, ou, pour exprimer la même penſée en d’autres termes l’idée