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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/530

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de leur Vérité, & de leur Certitude. Liv. IV.

ſont unies, & d’où elles tirent leur origine. Et tandis que l’idée que nous faiſons ſignifier au mot Homme n’eſt qu’une collection imparfaite de quelques Qualitez ſenſibles & de quelques Puiſſances qui ſe trouve en lui, nous ne ſaurions découvrir aucune connexion ou incompatibilité entre note Idée ſpécifique & l’operation que les parties de la Ciguë ou des pierres doivent produire ſur ſa conſtitution. Il y a des Animaux qui mangent de la Ciguë ſans en être incommodez, & d’autres qui ſe nourriſſent de bois & de pierres ; mais tant que nous n’avons aucune idée des conſtitutions réelles de différentes ſortes d’Animaux, d’où dépendent ces Qualitez, ces Puiſſances-là & d’autres ſemblables, nous ne devons point eſpérer de venir jamais à former, ſur leur ſujet, des Propoſitions univerſelles d’une entiére certitude. Ce qui nous peut fournir de telles Propoſitions, c’eſt ſeulement les Idées qui ſont unies avec notre Eſſence nominale ou avec quelqu’une de ſes parties par des liens qu’on peut découvrir. Mais ces Idées-là ſont en ſi petit nombre & de ſi peu d’importance, que nous pouvons regarder avec raiſon notre Connoiſſance générale touchant les Subſtances (j’entens une connoiſſance certaine) comme n’étant preſque rien du tout.

§. 16.En quoi conſiſte la certitude générale des Propoſitions. Enfin, pour conclurre, les Propoſitions générales, de quelque eſpèce qu’elles ſoient, ne ſont capables de certitude, que lorſque des termes dont elles ſont compoſées, ſignifient des Idées dont nous pouvons découvrir la convenance & la diſconvenance ſelon qu’elle y eſt exprimée. Et quand nous voyons que les Idées que ces termes ſignifient, conviennent ou ne conviennent pas, ſelon qu’ils ſont affirmez ou niez l’un de l’autre, c’eſt alors que nous ſommes certains de la vérité ou de la fauſſeté de ces Propoſitions. D’où nous pouvons inſerer qu’une Certitude générale ne peut jamais ſe trouver que dans nos Idées. Que ſi nous l’allons chercher ailleurs dans des Experiences ou des Obſervations hors de nous, dès-lors notre Connoiſſance ne s’étend point au delà des exemples particuliers. C’eſt la contemplation de nos propres Idées abſtraites qui ſeule peut nous fournir une Connoiſſance générale.


CHAPITRE VII.

Des Propoſitions qu’on nomme Maximes ou Axiome.


§. 1.Les Axiomes ſont évidens par eux-mêmes.
IL y a une eſpèce de Propoſitions qui ſous le nom de Maximes & d’Axiomes ont paſſé pour les Principes des Sciences : & parce qu’elles ſont évidentes par elles-mêmes, on a ſuppoſé qu’elles étoient innées, ſans que perſonne ait jamais tâché (que je ſache) de faire voir la raiſon & le fondement de leur extrême clarté, qui nous force, pour ainſi dire, à leur donner notre conſentement. Il n’eſt pourtant pas inutile d’entrer dans cette recherche, & de voir ſi cette grande évidence eſt particuliére à ces ſeules Propoſitions, comme auſſi d’examiner juſqu’où elles contribuent à nos autres Connoiſſances.