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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/545

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Des Axiomes. Liv. IV.

pour l’autre, ſoit qu’il ſoit, ou ne ſoit pas inſtruit de cette Maxime. Vous ne ſauriez non plus démontrer à cet Enfant, ou à quiconque a une telle idée qu’il déſigne par le nom d’Homme, qu’un homme aît une Ame, parce que ſon Idée d’Homme ne renferme en elle-même aucune telle notion ; & par conſéquent c’eſt un point qui ne peut lui être prouvé par le Principe, Ce qui eſt, eſt, mais qui dépend de conſéquences & d’obſervations, par le moyen deſquelles il doit former ſon idée complexe, déſignée par le mot Homme.

§. 17. En ſecond lieu, un autre qui en formant la collection de l’idée complexe qu’il appelle Homme, eſt allé plus avant, & qui a ajoûté à la forme extérieure le rire & le diſcours raiſonnable, peut démontrer que les Enfans qui ne font que de naître, & les Imbecilles, ne ſont pas des hommes, par le moyen de cette Maxime, Il eſt impoſſible qu’une même choſe ſoit & ne ſoit pas. Et en effet il m’eſt arrivé de diſcourir avec des perſonnes fort raiſonnables qui m’ont nié actuellement, que les Enfans & les imbecilles fuſſent hommes.

§. 18. En troiſiéme lieu, peut-être qu’un autre ne compoſe ſon idée complexe qu’il appelle Homme, que des idées de Corps en général, & de la puiſſance de parler & de raiſonner, & en exclut entiérement la forme extérieure. Et un tel homme peut démontrer qu’un homme peut n’avoir point de mains & avoir quatre piés ; puiſqu’aucune de ces deux choſes ne ſe trouve enfermée dans ſon idée d’Homme : & dans quelque Corps ou Figure qu’il trouve la faculté de parler jointe à celle de raiſonner, c’eſt là un homme, à égard ; par ce qu’ayant une connoiſſance évidente d’une telle Idée complexe, il eſt certain que Ce qui eſt, eſt.

§. 19.Combien ces Maximes ſervent peu à prouver quelque choſe, lorſque nous avons des idées claires & diſtinctes. De ſorte qu’à bien conſiderer la choſe, je croi que nous pouvons aſſûrer, que, lorſque nos Idées ſont déterminées dans notre Eſprit, & déſignées par des noms fixes & connus que nous leur avons attachez ſous ces déterminations préciſes, ces Maximes ſont fort peu néceſſaires, ou plûtôt ne ſont abſolument d’aucun uſage, pour prouver la convenance ou la diſconvenance d’aucune de ces Idées. Quiconque ne peut pas diſcerner la vérité, ou la fauſſeté de ces ſortes de Propoſitions ſans le ſecours de ces Maximes ou autres ſemblables, ne pourra le faire par leur entremiſe ; puiſqu’on ne ſauroit ſuppoſer qu’il connoiſſe ſans preuve la vérité de ces Maximes mêmes, s’il ne peut connoître ſans preuve la vérité de ces autres Propoſitions qui ſont auſſi évidentes par elles-mêmes que ces Maximes. C’eſt ſur ce fondement que la Connoiſſance Intuitive n’exige ou n’admet aucune preuve, dans une de ſes parties plûtôt que dans l’autre. Quiconque ſuppoſe qu’elle en a beſoin, renverſe le fondement de toute Connoiſſance & de toute Certitude ; & celui à qui il faut une preuve pour être aſſûré de cette Propoſition, Deux ſont égaux à Deux, & pour y donner ſon conſentement, aura auſſi beſoin d’une preuve pour pouvoir admettre celle-ci, Ce qui eſt, eſt. De même, tout homme qui a beſoin d’une preuve pour être convaincu que Deux ne ſont pas Trois, que le Blanc n’eſt pas