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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/560

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De l’Exiſtence de Dieu. Liv. IV.

ment inſeparable de la Matiére & de chacune de ſes parties, d’avoir du ſentiment, de la perception, & de la connoiſſance. A quoi l’on pourroit ajoûter, qu’encore que l’idée générale & ſpecifique que nous avons de la Matiére nous porte à en parler comme ſi c’étoit une choſe unique en nombre, cependant toute la Matiére n’eſt pas proprement une choſe individuelle qui exiſte comme un Etre materiel, ou un Corps ſingulier que nous connoiſſons, ou que nous pouvons concevoir. De ſorte que ſi la Matiére étoit le prémier Etre éternel penſant, il n’y auroit pas un Etre unique éternel, infini & penſant, mais un nombre infini d’Etres éternels, finis, penſans, qui ſeroient indépendans les uns des autres, dont les forces ſeroient bornées, & les penſées diſtinctes, & qui par conſéquent ne pourroient jamais produire cet Ordre, cette Harmonie, & cette Beauté qu’on remarque dans la Nature. Puis donc que le Prémier Etre doit être néceſſairement un Etre penſant, & que ce qui exiſte avant toutes choſes, doit néceſſairement contenir, & avoir actuellement, du moins, toutes les perfections qui peuvent exiſter dans la ſuite ; (car il ne peut jamais donner à un autre des Perfections qu’il n’a point, ou actuellement en lui-même, ou du moins dans un plus haut dégré) il s’enſuit néceſſairement de là, que le prémier Etre éternel ne peut être la Matiére.

§. 11.Il y a donc eu un etre ſage de toute éternité. Si donc il eſt évident, que quelque choſe doit néceſſairement exiſter de toute éternité, il ne l’eſt pas moins, que cette choſe doit être néceſſairement un Etre penſant. Car il eſt auſſi impoſſible que la Matiére non-penſante produiſe un Etre penſant, qu’il eſt impoſſible que le Néant ou l’abſence de tout Etre pût produire un Etre poſitif, ou la Matiére.

§. 12. Quoi que cette découverte d’un Eſprit néceſſairement exiſtant de toute éternité ſuffiſe pour nous conduire à la connoiſſance de Dieu ; puis qu’il s’enſuit de là, que tous les autres Etres Intelligens, qui ont un commencement, doivent dépendre de ce Prémier Etre, & que s’il a produit ces Etres Intelligens, il a fait auſſi les parties moins conſiderables de cet Univers, c’eſt-à-dire, tous les Etres inanimez ; ce qui fait néceſſairement connoître ſa toute-ſcience, ſa puiſſance, ſa providence, & tous ſes autres attributs : encore, dis-je, que cela ſuffiſe pour démontrer clairement l’exiſtence de Dieu, cependant pour mettre cette preuve dans un plus grand jour, nous allons voir ce qu’on peut objecter pour la rendre ſuſpecte.

§. 13.S’il eſt materiel, ou non. Prémiérement, on dira peut-être, que, bien que ce ſoit une vérité auſſi évidente que la Démonſtration la plus certaine, Qu’il doit y avoir un Etre éternel, & que cet Etre penſant ne puiſſe être materiel. Eh bien, qu’il ſoit materiel ; il s’enſuivra toûjours également de là, qu’il y a un Dieu. Car s’il y a un Etre éternel qui ait une ſcience & une puiſſance infinie, il eſt certain qu’il y a un Dieu, ſoit que vous ſuppoſiez cet Etre matériel ou non. Mais cette ſuppoſition a quelque choſe de dangereux & d’illuſoire, ſi je ne me trompe ; car comme on ne peut éviter de ſe rendre à la Démonſtration qui établit un Etre éternel qui a de la connoiſſance, ceux qui ſoûtiennent l’éternité de la Matiére, ſeroient bien aiſes