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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/60

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de Principes innez. Liv. I.

roit la choſe du monde la plus contraire à la Raison & à l’Experience. Le conſentement qu’on donne ſans peine à une Propoſition dès qu’on l’entend prononcer & qu’on en comprend les termes, eſt, ſans doute, une marque que cette Propoſition eſt évidente par elle-même : mais cette évidence, qui ne dépend d’aucune impreſſion innée, mais de quelque autre choſe, comme nous le ferons voir dans la ſuite, appartient à pluſieurs Propoſitions, qu’il ſeroit abſurde de regarder comme des véritez innées, & que perſonne ne s’eſt encore aviſé de faire paſſer pour telles.

§. 19.De telles Propoſitions moins générales, ſont plûtôt connuës que les Maximes univerſelles, qu’on veut faire paſſer pour innées. Et qu’on ne diſe pas, que ces Propoſitions particulières, & évidente par elles-mêmes, dont on reconnoit la vérité dès qu’on les entend prononcer, comme Qu’un & deux ſont égaux à trois, Que le Verd n’eſt pas le Rouge, &c. ſont reçuës comme des conſéquences de ces autres Propoſitions plus générales qu’on regarde comme autant de Principes innez : Car tous ceux qui prendront la peine de reflêchir ſur ce qui ſe paſſe dans l’Entendement, lors qu’on commence à en faire quelque uſage, trouveront infailliblement que ces Propoſitions particulières, ou moins générales, ſont reconnuës & reçuës comme des véritez indubitables par des perſonnes qui n’ont aucune connoiſſance de ces Maximes plus générales. D’où il s’enſuit évidemment, que, puis que ces Propoſitions particuliéres se rencontrent dans leur Eſprit plûtôt que ces Maximes qu’on nomme prémiers Principes, ils ne pourroient recevoir ces Propoſitions particuliéres comme ils font, dès qu’ils les entendent prononcer pour la prémiére fois, s’il étoit vrai que ce ne fuſſent que des conſéquences de ces prémiers Principes.

§. 20. Si l’on replique, que ces Propoſitions, Deux & deux ſont égaux à quatre, Le Rouge n’eſt pas le Bleu, &c. ne ſont pas des Maximes générales, & dont on puiſſe faire un fort grand uſage, je répons, que cette inſtance ne touche en aucune maniére l’argument qu’on veut tirer du Conſentement univerſel qu’on donne à une Propoſition dès qu’on l’entend dire & qu’on en comprend le ſens. Car ſi ce Conſentement eſt une marque aſſûrée d’une Propoſition innée, toute Propoſition qui eſt généralement reçuë dès qu’on l’entend dire & qu’on la comprend, doit paſſer pour une Propoſition innée, tout auſſi bien que cette Maxime, Il est impoſſible qu’une choſe ſoit & ne ſoit pas en même tems : puis qu’à cet égard, elles ſont dans une parfaite égalité. Quant à ce que cette derniére Maxime eſt plus générale, tant s’en faut que cela la rende plûtôt innée, qu’au contraire c’eſt pour cela même qu’elle eſt plus éloignée de l’être. Car les idées générales & abſtraites étant d’abord plus étrangéres à notre Eſprit que les idées des Propoſitions particuliéres qui ſont évidentes par elles-mêmes, elles entrent par conſéquent plus tard dans un Eſprit qui commence à ſe former. Et pour ce qui eſt de l’utilité de ces Maximes tant vantées, on verra peut-être qu’elle n’eſt pas ſi conſiderable qu’on ſe l’imagine ordinairement, lors que nous examinerons plus particulierement en ſon lieu, quel eſt le fruit qu’on peut recueillir de ces Maximes.

§. 21.Ce qui prouve que les Propoſitions qu’on appelle innées ne le ſont pas, c’eſt qu’elles ne ſont connues qu’après qu’on les a propoſées. Mais il reſte encore une choſe à remarquer ſur le conſentement qu’on donne à certaines Propoſitions, dès qu’on les entend prononcer & qu’on en comprend le ſens, c’eſt que, bien loin que ce conſentement faſſe voir que