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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/61

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Qu’il n’y a point

ces Propoſitions ſoient innées, c’eſt juſtement une preuve du contraire ; car cela ſuppoſe que des gens, qui ſont inſtruits de diverſes choſes, ignorent ces Principes juſqu’à ce qu’on les leur ait propoſez, & que perſonne ne les connoît avant que d’en avoir ouï parler. Or ſi ces véritez étoient innées, quelle néceſſité y auroit-il de les propoſer, pour les faire recevoir ? Car étant déja gravées dans l’Entendement par une impreſſion naturelle & originale, (ſuppoſé qu’il y eût une telle impreſſion, comme on le prétend) elles ne pourroient qu’être déja connuës. Dira-t-on qu’en les propoſant on les imprime plus nettement dans l’Eſprit que la Nature n’avoit ſu faire ? Mais ſi cela eſt, il s’enſuivra de là, qu’un homme connoît mieux ces véritez, après qu’on les lui a enſeignées, qu’il ne faiſoit auparavant. D’où il faudra conclurre, que nous pouvons connoître ces Principes d’une maniére plus évidente, lors qu’ils nous ſont expoſez par d’autres hommes, que lors que la Nature ſeule les a imprimez dans notre Eſprit, ce qui s’accorde fort mal avec ce qu’on dit qu’il y a des Principes innez, rien n’étant plus propre à en affoiblir l’autorité. Car dès-là, ces Principes deviennent incapables de ſervir de fondement à toutes nos autres connoiſſances, quoi qu’en veuillent dire les Partiſans des Idées innées, qui leur attribuent cette prérogative.

A la vérité, l’on ne peut nier que les Hommes ne connoiſſent pluſieurs de ces véritez, évidentes par elles-mêmes, dès qu’elles leur ſont propoſées : mais il n’eſt pas moins évident, que tout homme à qui cela arrive, eſt convaincu en lui-même que dans ce même temps-là il commence à connoître une Propoſition qu’il ne connoiſſoit pas auparavant, & qu’il ne revoque plus en doute dès ce moment. Du reſte, s’il y acquieſce ſi promptement, ce n’eſt point à cauſe que cette Propoſition étoit gravée naturellement dans ſon Eſprit, mais parce que la conſideration même de la nature des choſes exprimées par les paroles que ces ſortes de Propoſitions renferment, ne lui permet pas d’en juger autrement, de quelque maniére & en quelque temps qu’il vienne à y reflechir. Que ſi l’on doit regarder comme un Principe inné, chaque Propoſition à laquelle on donne ſon conſentement, dès qu’on l’entend prononcer pour la prémiére fois, & qu’on en comprend les termes, toute obſervation qui fondée légitimement ſur des experiences particuliéres, fait une règle générale, devra donc auſſi paſſer pour innée. Cependant, il eſt certain que ces obſervations ne ſe préſentent pas d’abord indifferemment à tous les hommes, mais ſeulement à ceux qui ont le plus de pénétration : lesquels les réduiſent enſuite en Propoſitions générales, nullement innées, mais déduites de quelque connoiſſance précedente, & de la reflexion qu’ils ont faite ſur des exemples particuliers. Mais ces Maximes une fois établies par de curieux obſervateurs, de la maniére que je viens de dire, ſi on les propoſe à d’autres hommes qui ne ſont point portez d’eux-mêmes à cette eſpèce de recherche, ils ne peuvent refuſer d’y donner auſſi-tôt leur conſentement.

§. 22.Si l’on dit qu’elles ſont connuës implicitement avant que d’être propoſées, ou cela ſignifie que l’Eſprit eſt capable de les comprendre, ou il ne ſignifie rien. L’on dira peut-être, que l’Entendement n’avoit pas une connoiſſance explicite de ces Principes, mais ſeulement implicite, avant qu’on les lui propoſât pour la premiére fois. C’eſt en effet ce que ſont obligez de dire tous ceux qui ſoutiennent, que ces Principes ſont dans l’Entendement avant que d’être connus. Mais il n’eſt pas facile de concevoir ce que ces perſonnes entendent par