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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/62

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de Principes innez. Liv. I.

un Principe gravé dans l’Entendement d’une maniére implicite, à moins qu’ils ne veuillent dire par-là, Que l’Ame eſt capable de comprendre ces ſortes de Propoſitions & d’y donner un entier conſentement. En ce cas-là, il faut reconnoître toutes les Démonſtrations Mathematiques pour autant de véritez gravées naturellement dans l’Eſprit, auſſi bien que les prémiers Principes. Mais c’eſt à quoi, ſi je ne me trompe, ne conſentiront pas aiſément ceux qui voyent par experience qu’il eſt plus difficile de démontrer une Propoſition de cette nature, que d’y donner ſon conſentement après qu’elle a été démontrée ; & il ſe trouvera fort peu de Mathematiciens qui ſoient diſpoſez à croire que toutes les Figures qu’ils ont tracées, n’étoient que des copies d’autant de Caractères innez, que la Nature avoit gravez dans leur Ame.

§. 23.La conſéquence qu’on veut tirer de ce qu’on reçoit ces Propoſitions, dès qu’on les entend dire, eſt fondée ſur cette fauſſe ſuppoſition, qu’en apprenant ces Propoſitions on n’apprend rien de nouveau. Il y a un ſecond défaut, ſi je ne me trompe, dans cet Argument par lequel on prétend prouver, que les Maximes que les Hommes reçoivent dès qu’elles leur ſont propoſées doivent paſſer pour innées, parce que ce ſont des Propoſitions auxquelles ils donnent leur conſentement ſans les avoir appriſes auparavant, & ſans avoir été portez à les recevoir par la force d’aucune preuve ou démonſtration précedente, mais par la ſimple explication ou intelligence des termes. Il me ſemble, dis-je, que cet Argument eſt appuyé ſur cette fauſſe ſuppoſition, que ceux à qui on propoſe ces Maximes pour la prémiére fois n’apprennent rien qui leur ſoit entierement nouveau : quoi qu’en effet on leur enſeigne des choſes qu’ils ignoroient abſolument, avant que de les avoir appriſes. Car prémiérement, il eſt viſible qu’ils ont appris les termes dont on ſe ſert pour exprimer ces Propoſitions, & la ſignification de ces termes : deux choſes qui n’étoient point nées avec eux. De plus, les idées que ces Maximes renferment, ne naiſſent point avec eux, non plus que les termes qu’on employe pour les exprimer, mais ils les acquierent dans la ſuite, après en avoir appris les noms. Puis donc que dans toutes les Propoſitions auxquelles les hommes donnent leur conſentement dès qu’ils les entendent dire pour la prémiére fois, il n’y a rien d’inné, ni les termes qui expriment ces Propoſitions, ni l’uſage qu’on en fait pour déſigner les idées que ces Propoſitions renferment, ni enfin les idées que ces termes ſignifient, je ne ſaurois voir ce qui reste d’inné dans ces ſortes de Propoſitions. Que ſi quelqu’un peut trouver une Propoſition dont les termes ou les idées ſoient innées, il me feroit un ſingulier plaiſir de me l’indiquer.

C’eſt par dégrez que nous acquerons des Idées, que nous apprenons les termes dont on ſe ſert pour les exprimer, & que nous venons à connoître la veritable liaiſon qu’il y a entre ces Idées. Après quoi, nous n’entendons pas plûtôt les Propoſitions exprimées par les termes dont nous avons appris la ſignification, & dans leſquelles paroît la convenance ou la diſconvenance qu’il y a entre nos idées lors qu’elles ſont jointes enſemble, que nous y donnons notre conſentement, quoi que dans le même temps nous ne ſoyons point du tout capables de recevoir d’autres Propoſitions, qui auſſi certaines & auſſi évidentes en elles-mêmes que celles-là, ſont compoſées d’idées qu’on n’acquiert pas de ſi bonne heure, ni avec tant de facilité. Ainſi, quoi qu’un Enfant commence bientôt à donner ſon conſentement à cette Propoſition, Une Pomme n’eſt pas du Feu : ſavoir dès qu’il a acquis, par l’uſage ordinai-