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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/640

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De l’Erreur. Liv. IV.

ner qu’il y a de la ſophiſtiquerie dans les termes, ou qu’on peut produire des preuves d’un auſſi grand poids en faveur du parti contraire, alors l’aſſentiment, la ſuſpenſion ou le diſſentiment ſont ſouvent des actes volontaires. Mais lorſque les preuves ſont de nature à rendre la choſe en queſtion extrêmement probable, ſans avoir un fondement ſuffiſant de ſoupçonner qu’il y ait rien de ſophiſtique dans les termes (ce qu’on peut découvrir avec un peu d’application) ni des preuves également fortes de l’autre côté, qui n’ayent pas encore été découvertes, (ce qu’en certains cas la nature de la choſe peut encore montrer clairement à un homme attentif) je croi, dis-je, que dans cette occaſion un homme qui a conſideré mûrement ces preuves, ne peut guere refuſer ſon conſentement au côté de la Queſtion qui paroît avoir le plus de probabilité. S’agit-il, par exemple, de ſavoir ſi des caracteres d’Imprimerie mêlez confuſément enſemble pourront ſe trouver ſouvent rangez de telle maniére qu’ils tracent ſur le Papier un Diſcours ſuivi, ou ſi un concours fortuit d’Atomes, qui ne ſont pas conduits par un Agent intelligent, pourra former pluſieurs fois des Corps d’une certaine eſpèce d’Animaux ; dans ces cas & autres ſemblables, il n’y a perſonne, qui, s’il y fait quelque reflexion, puiſſe douter le moins du monde quel parti prendre, ou être dans la moindre incertitude à cet égard. Enfin lorſque la choſe étant indifférente de ſa nature & entiérement dépendante des Témoins qui en atteſtent la vérité, il ne peut y avoir aucun lieu de ſuppoſer qu’il y a un témoignage auſſi ſpecieux contre que pour le fait atteſté, duquel on ne peut s’inſtruire que par voye de recherche, comme eſt, par exemple, de ſavoir s’il y avoit à Rome, il y a 1700. ans, un homme tel que Jules Céſar ; dans tous les cas de cette eſpèce je ne croi pas qu’il ſoit au pouvoir d’un homme raiſonnable de refuſer ſon aſſentiment & d’éviter de ſe rendre à de telles Probabilitez. Je croi au contraire que dans d’autres cas moins évidens il eſt au pouvoir d’un homme raiſonnable de ſuſpendre ſon aſſentiment, & peut-être même de ſe contenter des preuves qu’il a, ſi elles favoriſent l’opinion qui convient le mieux avec ſon inclination ou ſon intérêt, & d’arrêter là ſes recherches. Mais qu’un homme donne ſon conſentement au côté où il voit le moins de probabilité, c’eſt une choſe qui me paroît tout-à-fait impraticable ; & auſſi impoſſible qu’il l’eſt de croire qu’une même choſe ſoit tout à la fois probable & non-probable.

§. 16.Quand c’eſt qu’il eſt en notre pouvoir de ſuſpendre notre Aſſentiment. Comme la Connoiſſance n’eſt non plus arbitraire que la Perception, je ne croi pas que l’Aſſentiment ſoit plus en notre pouvoir que la Connoiſſance. Lorſque la convenance de deux Idées ſe montre à mon Eſprit, ou immédiatement, ou par le ſecours de la Raiſon, je ne puis non plus refuſer de l’appercevoir ni éviter de la connoître que je puis éviter de voir les Objets vers leſquels je tourne les yeux & que je regarde en plein midi ; & ce que je trouve le plus probable après l’avoir pleinement examiné, je ne puis refuſer d’y donner mon conſentement. Mais quoi que nous ne puiſſions pas nous empêcher de connoître la convenance de deux Idées, lorſque nous venons à l’appercevoir, ni de donner notre aſſentiment à une Probabilité dès qu’elle ſe montre viſiblement à nous après un légitime examen de tout ce qui concourt à l’établir, nous pouvons pourtant arrêter les progrès de notre Connoiſſance & de no-