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Page:Londres - L’Âme qui vibre, 1908.djvu/104

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AMERTUME

J’ai gravi les sommets des rêves impossibles,
J’ai franchi tous les monts et tombé les remparts
Qui ne s’écroulaient pas devant mes étendards.
Et mes amis croyaient mes espoirs invincibles.

J’ai tenu dans ma main les cendres du Passé ;
Pour plaire à mon orgueil j’ai muselé la foule ;
Et j’étais, à moi seul, le désastre et la houle
Qui rappellent l’horreur du naufrage passé.

Grand comme un monde, et dieu dans la mythologie
J’avais mis sous le joug cette foule assagie
Par les vers que lançait ma docte voix d’airain.

Et j’étais occupé, moi, le poète étique
À dompter les États dont j’étais souverain,
Quand, pour dîner, quittant mon rêve sophistique,

Je m’en fus acheter dix centimes de pain.