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Page:Londres - L’Âme qui vibre, 1908.djvu/194

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LE DERNIER CHANT


Je me dis que j’ai fait, sans en avoir eu l’air,
Comme un homme pleurant ses larmes dans la mer.

Non ! je n’ai jamais pu mettre dans un poème
Le rêve aussi, vivant qu’il existe en moi-même.
Lorsque je le conçois : il est jeune, il est frais,
On dirait un enfant nourri d’œufs et de lait ;
Mais quand je le revois garrotté dans ma rime,
Quand, sous le poids d’un vers, j’ai courbé son échine,
Le poème fût-il, malgré tout, digne et beau,
Il me semble avoir mis mon grand rêve au tombeau.
Oh : quand pourrai-je dire et lancer par le monde
La nombreuse chanson de mon âme profonde ?
Quand trouverai-je enfin des mots assez puissants
Pour y couler l’idée et l’Ardeur de mon sang ?
Quand trouverai-je aussi des phrases assez douces
Pour y blottir ma peine à l’ombre de leurs mousses ?
Et surtout, et surtout, quand me donnerez-vous.
Toi, langue, en ta beauté, toi, rêve en ton courroux,
La puissance d’unir vos deux forces rebelles,
Pour qu’au moment dernier où fléchiront mes ailes,
Je puisse, en contemplant mes vers de pur métal,
Croire que j’ai dressé mon propre piédestal ?