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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/91

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L’Infant.

Vous l’avouerai-je, madame ? Je frappais ces pierres de mon épée, afin de m’assurer si vous n’y étiez pas. Vous avez été, pour mon malheur, formée d’un caillou si dur, que l’acier est nécessaire pour tirer de vous quelque étincelle… Je disais tout à l’heure à Valerio que l’amour pénètre difficilement là où l’amour n’existe pas… Et comme mon amour m’y contraint, l’entrée qu’on me refuse, je m’essaye à l’obtenir par la force.

La Duchesse.

D’après cela, ce que vous éprouvez ce n’est pas de l’amour.

L’Infant.

Comment l’appellerez-vous alors ?

La Duchesse.

Obstination, folie et fureur.

L’Infant.

Ces noms, il est vrai, peuvent se donner au feu qui me consume.

La Duchesse.

On a bien raison de dire que la plupart des hommes n’aiment que par entêtement. Mais quand une femme a résisté aux instances d’un homme, s’il continue encore à s’acharner après elle, ce n’est plus, à mon avis, vouloir aimer, c’est vouloir vaincre.

L’Infant.

Non, duchesse, ce n’est pas parce que je me suis mis en tête de vous conquérir que j’ai poursuivi cette entreprise. Non ; c’est parce qu’une passion insensée, qui m’a privé de ma raison, me pousse vers vous aveuglément. Cette passion, elle n’est pas l’effet du hasard ou du caprice ; je ne suis pas le maître de la diriger ; c’est elle, au contraire, qui me domine. Et plût à Dieu qu’elle ne fût pas de l’amour, mais seulement de l’obstination ! car je cesserais de vous servir, si cela était en mon pouvoir ; et surtout en voyant qu’un autre a pris la place où j’aspirais.

La Duchesse.

De quel autre parlez-vous ?

L’Infant.

D’un autre qui est plus que moi ; car, quelle que soit ma qualité, je ne suis rien pour vous.

La Duchesse.

Qui donc serait plus que vous, prince ?

L’Infant.

Qui ! vous le savez : le comte, l’heureux comte Prospero, qui est favorisé et qui l’emporte sur l’infant.

La Duchesse.

Le comte Prospero ?

L’Infant.

Lui-même.