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Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/206

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j’ai plus d’audace, c’est que ta bonté et tes faveurs m’encouragent. Dès le premier moment où je t’ai vu, charmé de voir en toi tant de grâce, j’ai senti que je t’aimais. Il y avait en moi je ne sais quoi qui m’avertissait qu’en toi se trouvait la moitié de mon âme et de ma vie ; mais je n’entendais qu’à demi ce que mon âme me disait, car il me manquait la moitié de mon âme.

Joseph.

Mon aimable et doux frère, ton extérieur annonce bien ce que tu es. (Aux autres.) Pour vous, retournez vers notre vieux père, et allez le consoler. Que l’aîné lui raconte ma fortune, et qu’il vienne la partager avec vous, échangeant la vallée d’Aran contre la vallée de Goscen. — Je vous donnerai des chars, des habits, de l’or, de l’argent, qui lui montreront l’accueil qu’il doit trouver ici. Avec l’agrément du roi mon seigneur, vous vivrez tous en Égypte, et vous y serez autant que moi-même, car je vous consacre toute ma vie pour m’avoir rendu mon père.

Ruben.

Ô mon généreux frère… à peine si j’ose t’appeler de ce nom, bien que j’aie été le moins cruel de tous ceux qu’a formés le même sang[1]… Au nom de ce sang qui est dans tes veines, pardonne-nous, et que ta majesté ne châtie point le crime commis envers l’humble berger. Nous dirons à notre père qu’il vienne te voir, qu’il vienne trouver près de toi la joie et la vie.

Joseph.

Avant de partir, mes frères, venez baiser la main au roi.

Bato.

Et moi, monseigneur, je vous prie de ne pas refuser la vôtre à un pauvre paysan.

Joseph.

Qui es-tu ?… Serais-tu Nephtali ?…

Bato.

Non, monseigneur ; je suis Bato… autrefois Batico[2]… avec qui vous jouiez quand vous étiez petit.

Joseph.

Je suis charmé de te voir.

Bato.

Il paraît que la bête féroce ne vous avait pas dévoré ?

Joseph.

Ma mort a été supposée.

Ils sortent. Tous les Frères passent l’un après l’autre devant Joseph, et, en passant, chacun d’eux s’incline avec respect. Benjamin et Bato restent seuls.
Benjamin.

Allons, Bato, allons porter cette nouvelle au bon vieillard.

  1. Les frères de Joseph avaient d’abord voulu le tuer ; Ruben s’y était opposé.
  2. Diminutif de Bato.