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Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/164

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pagnons l’effort magnifique de nos camarades d’Italie. Cette soirée d’adieu, je la passerai seul avec mes souvenirs, dans mon salon suranné aux dorures excessives ; j’ouvrirai en grand mes fenêtres délicieusement festonnées et là, appuyé sur l’accoudoir que soutiennent de vieux balustres de marbre, je regarderai le soleil mourir lentement sur la ville, et ensuite finir le crépuscule.

Tout est beau ce soir et tout est féerique, dans cette grande mise en scène, un peu trop théâtrale peut-être, mais qui ne ressemble à aucune autre. Il y a cependant là-bas, dans le lointain sur la gauche, une laideur qui surgit, et qui déconcerte au milieu de tant de resplendissement et de grâce : d’affreuses fumées qui se déroulent, comme si on étirait sur l’horizon des ouates noires ; tant elles sont épaisses, elles ne montent même pas dans l’air qu’aucune brise n’agite… En effet, j’avais oublié, c’est l’arsenal, le modernisme, la houille, la grande guerre… Et, de ce coin du décor, soudainement charbonné, je vois sortir et s’avancer un cortège de monstres apocalyptiques, traînant avec eux ces lourdes fumées ; en tête, des léviathans grisâtres,