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Page:Loti - La troisième jeunesse de Madame Prune, 1905.djvu/133

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à présent la durée de l’absence, puisque je ne la retrouverai plus, à aucun de mes retours, jamais… Pourtant, des liens profonds me tiennent encore au foyer, — et d’ailleurs mes années sont bien comptées, pour que je les perde en exil…

Elle se lève, la guécha, qui visiblement s’ennuie ; elle pose sa longue guitare et se met à marcher, indolente et gracieuse, si légère que le plancher ne semble même pas s’en apercevoir, — ce plancher mince qui gémissait tout à l’heure sous le pas des servantes, lorsque la dînette nous a été servie. Et, au moment où s’est arrêtée sa musique monotone, je songeais à certain vieux jardin qui est situé au-dessous de nous, de l’autre côté de la terre, et qui, dans mon enfance, représentait pour moi le monde. À l’instant précis où la sauterelle de rêve a cessé de chanter, c’est ce jardin-là que je revoyais, après avoir repassé tant de choses en souvenir, ce jardin avec ses treilles, ses vieux arbres, et surtout un grenadier planté jadis par un aïeul, qui, à chaque mois de juin depuis cent ans, sème en pluie ses pétales rouges sur