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Page:Loti - La troisième jeunesse de Madame Prune, 1905.djvu/65

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qui est rivage ; plus haut seulement, et toujours en rose, en rose très atténué de grisailles, s’esquissent des bouquets d’arbres suspendus, des rochers à peine possibles tant ils ont de hardiesse ou de fantaisie, et enfin des montagnes, plutôt des reflets de montagnes, n’ayant pas de base, rien que des cimes, des dentelures, des pointes érigées dans le ciel vague. Ces choses transparentes, on n’est pas sûr qu’elles existent ; en soufflant dessus, on risquerait sans doute de changer tout ce décor imaginaire. Il fait idéalement doux ; dans l’air presque tiède on sent l’odeur de la mer et un peu le parfum de ces baguettes que les gens brûlent ici perpétuellement sur les tombes, ou sur les autels des morts. Voici maintenant une grande jonque, une d’autrefois, qui passe avec sa voilure archaïque et sa poupe de trirème ; dans le site irréel, devant cette sorte de trompe-l’œil qui à des nuances de nacre et de fleur, elle glisse sans que l’on entende l’eau remuer, et la brume enveloppante l’agrandit ; on croirait un navire fantôme, si elle n’était toute rose elle-même, sur ces fonds roses.