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Page:Loti - Le Mariage de Loti, 1880.djvu/190

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J’éprouvais un remords profond de l’avoir abandonnée au milieu de cette saturnale ; une tristesse inquiète me retenait là, les yeux fixés sur ces feux de la plage ; ces bruits qui venaient de terre me serraient le cœur.

L’une après l’autre, toutes les heures de la nuit sonnèrent à bord du Rendeer, sans que le sommeil vînt mettre fin à mon étrange rêverie. Je l’aimais bien, la pauvre petite ; les Tahitiens disaient d’elle : c’est la petite femme de Loti. C’était bien ma petite femme en effet ; par le cœur, par les sens, je l’aimais bien. Et, entre nous deux, il y avait des abîmes pourtant, de terribles barrières, à jamais fermées. Elle était une petite sauvage ; entre nous qui étions une même chair, restait la différence radicale des races, la divergence des notions premières de toutes choses ; si mes idées et mes conceptions étaient souvent impénétrables pour elle, les siennes aussi l’étaient pour moi ; mon enfance, ma patrie, ma famille et mon foyer, tout cela resterait toujours pour elle l’incompréhensible et l’inconnu. Je me souvenais de cette phrase qu’elle m’avait dite un jour : « J’ai peur que ce ne soit pas le même Dieu qui nous ait créés. » En effet, nous étions en-