Aller au contenu

Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous pénètrent sitôt que vous détournez les vôtres.

Il est bien tel que je l’attendais, façonné à ravir par cinquante ou soixante années de haut brigandage. — Et, auprès de lui, ces deux jeunes hommes qu’il a amenés semblent des enfants inoffensifs, dociles et tremblants.

Il me souhaite la bienvenue, m’exprime son étonnement de l’obstination du caïmacam, son regret de ne pouvoir me recevoir à Pétra.

— Mais, lui dis-je, brusquant les choses, ne pourrais-tu faire semblant de nous mener vers Suez, — et puis, à deux jours de marche d’ici… qui le saurait…

Il m’arrête en saisissant ma main et une mélancolie de fauve captif passe dans ses yeux mobiles : « Ah ! répond-il, autrefois, oui… autrefois, j’étais le maître. Mais à présent, les Turcs sont venus, vois-tu, — et depuis un an, j’ai fait ma soumission, j’ai donné à ce caïmacam ma parole d’obéissance… »

Alors je comprends que notre dernier espoir est perdu.

Il est inutile d’insister, d’ailleurs, car la parole donnée — qui compte si peu chez nous, les avancés d’Occident — est tout à fait sacrée pour les brigands du désert.