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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/326

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LE ROMAN D’UN ENFANT

ne s’appelaient plus ainsi) étaient devenues de grandes jeunes filles en deuil que je ne savais plus reconnaître.

Entre deux longs voyages, pressé comme toujours, ma vie allant déjà son train de fièvre, je revenais là, moi, pour quelques heures seulement, en pèlerinage de souvenir, voulant revoir encore une fois cette maison de l’oncle du Midi, avant qu’elle fût livrée à des mains étrangères.

C’était en novembre ; un ciel sombre et froid changeait complètement les aspects de ce pays, que je n’avais jamais connu qu’au beau soleil des étés.

Ayant passé mon unique matinée à revoir mille choses, avec une mélancolie toujours croissante, sous ces nuages d’hiver, — j’avais oublié ce vieux jardin et ce berceau de vigne à l’ombre duquel s’était décidée ma vie, et je voulus y courir, à la dernière minute, avant le départ de la voiture qui allait m’emporter pour jamais.

« Vas-y seul, alors ! » me dit la cousine, empressée elle aussi à faire fermer des caisses. Et elle me remit la grosse clef, la même grosse clef que j’emportais autrefois quand je m’en allais en chasse, ma papillonnette à la main, aux heures lumineuses et brûlantes des jours passés… Oh ! les étés de mon enfance, qu’ils avaient été merveilleux et enchanteurs…