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Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/63

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LE ROMAN D’UN ENFANT

les bois de grand’mère. Toutes ces choses jouissaient à mes yeux d’un rare prestige.

Ces bois, je savais que grand’mère ne les possédait plus, ni ses marais salants, ni ses vignes ; j’avais entendu qu’elle s’était décidée à les vendre peu à peu, pour placer l’argent sur le continent, et qu’un certain notaire peu délicat avait, par de mauvais placements, réduit à très peu de chose cet avoir. Quand j’allais dans l’île, quand d’anciens saulniers, d’anciens vignerons de ma famille, toujours fidèles et soumis, m’appelaient « notre petit bourgeois » (ce qui signifie notre petit maître), c’était donc par pure politesse et déférence de souvenir. Mais j’avais déjà un regret de tout cela ; cette vie passée à surveiller des vendanges ou des moissons, qui avait été la vie de plusieurs de mes ascendants, me semblait bien plus désirable que la mienne, si enfermée dans une maison de ville.

Les histoires de l’île, que me contaient grand’mère et tante Claire, étaient surtout des aventures de leur enfance, et cette enfance me paraissait lointaine, lointaine, perdue dans des époques que je ne pouvais me représenter qu’à demi éclairées comme les rêves ; des grands-parents y étaient toujours mêlés, des grands-oncles jamais connus, morts depuis bien des années, dont je me faisais dire les noms et dont