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Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/108

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une grande baie ouverte, on voyait les jardins, la mer, la double rade d’Alexandrie. Démétrios resta debout et regarda la ville lointaine.


Soleils couchants derrière les ports ! gloires incomparables des cités maritimes, calme du ciel, pourpre des eaux, sur quelle âme bruyante de douleur ou de joie ne jetteriez-vous pas le silence ! Quels pas ne se sont arrêtés, quelle volupté ne s’est suspendue, quelle voix ne s’est éteinte devant vous !… Démétrios regardait : une houle de flamme torrentielle semblait sortir du soleil à moitié plongé dans la mer et couler directement jusqu’à la rive courbe du bois d’Aphrodite. De l’un à l’autre des deux horizons, la gamme somptueuse de la pourpre envahissait la Méditerranée, par zones de nuances sans transitions, du rouge d’or au violet froid. Entre cette splendeur mouvante et le miroir tourbeux du lac Maréotis, la masse blanche de la ville était toute vêtue de reflets zinzolins. Les orientations diverses de ses vingt mille maisons plates la mouchetaient merveilleusement de vingt mille taches de couleur, en métamorphose perpétuelle selon les phases décroissantes du rayonnement occidental. Cela fut rapide et incendiaire ; puis le soleil s’engloutit presque soudainement et le premier reflux de la nuit fit flotter sur toute la terre un frisson, une brise voilée, uniforme et transparente.