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Page:Louÿs - Trois filles de leur mère, 1979.djvu/138

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plus dangereux que de chasser à courre sur une jument qui devient folle. À tomber de cheval, on ne risque guère que de se casser un bras ou une jambe. Teresa donnait de telles ruades, ou, pour parler plus juste, elle avait la croupe si fougueuse qu’elle manqua vingt fois de me rompre un membre plus précieux que n’est la jambe.

J’eus si peur, que je me mis à penser avec une rapidité exceptionnelle, comme on pense à l’instant de mourir ; et je pensais à tout à la fois, même aux détails les moins urgents, que j’aurais eu le loisir de méditer le lendemain.

Je me disais :

1o Jamais je n’ai tant souffert même en dépucelant Mlle X… par-devant.

2o Elle va m’estropier. Que faire ? La maintenir ? Impossible. Mollir ? Plus difficile encore.

3o Qu’elle est belle !

4o Que je suis jeune et maladroit ! Je n’ai rien compris à son jeu. La nuit dernière, j’ai cru qu’elle mimait la passion pour exciter Charlotte, et sa comédie était vraie. Ce soir elle vient chez moi, elle se met nue sur mon lit, et jusqu’au dernier moment je ne sais ce qu’elle désire. Il faut qu’elle me crie à tue-tête : « Le vois-tu que je suis en chaleur ? » j’en rougis. Je me sens honteux.

5o Elle fait de moi ce qu’elle veut. Hier elle m’avait révolté. Elle revient ce soir. Je suis résolu à la mettre à la porte et voilà comment la scène se termine ! Comment s’achèvera la nuit ?