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Page:Louÿs - Trois filles de leur mère, 1979.djvu/157

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— Sucer la queue du directeur », dit Lili sans hésiter. »

Elle allait bien !… Sur le même ton tranquille et sans chercher un mot, elle continua :

« Comme acrobate, je sais un tour de ma grand-mère. Monsieur, voulez-vous le numéro de la fille-serpent ? avec l’art de trouver une gousse dans son lit quand on couche toute seule ?

— Oui, dit Teresa. Vas-y.

— Si maman le savait !… », commença Lili.

Et à partir de là je crus qu’elle récitait un petit rôle appris par cœur. Je ne connaissais pas encore assez Lili pour imaginer qu’elle avait composé tout cela elle-même, avec des bribes de phrases entendues par hasard et un don naturel de comédienne-enfant.

Elle s’accroupit au pied du lit, les coudes sur les genoux, les pieds sous les fesses, et dit avec mélancolie :

« Vous voyez devant vous la petite fille martyre dont il a été question dans les journaux, la plus malheureuse petite fille du monde. On n’a pas osé imprimer pourquoi, tellement c’est épouvantable. J’ai une mère dénaturée, monsieur. Que Dieu lui pardonne !

— Tu l’entends ? fit Teresa.

— Il y a des petites filles qu’on bat, qu’on fouette, qu’on enchaîne, qu’on martyrise, qu’on fait manger par les punaises et qu’on prive de nourriture. Mais moi, savez-vous ce qui m’est défendu jusqu’à ma majorité ? Ah ! monsieur ! personne ne devinerait par où ma mère me supplicie ! Elle m’a défendu de me branler !