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Page:Louÿs - Trois filles de leur mère, 1979.djvu/223

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faire exprès. Prends-moi les poils, on n’y verra rien, tu auras l’air de me branler… Non, pas ces poils-là… plus bas… ceux des lèvres… oui… tire… tire-les… tire donc !… mais tire donc ! je vais jouir… »

Et elle m’empoigna la main pour me faire tirer comme si j’arrachais une poignée d’herbe.

L’entracte ne dura qu’une minute. Pour nous donner un peu de repos, Lili en écolière aborda Charlotte en pierreuse et lui dit d’un air soupçonneux :

« T’es donc encore malade ? la pine de ton frère avait un drôle de goût ce matin. »

Quand Charlotte avait ses nerfs, elle ne pouvait retenir ni sa gaieté ni ses larmes. Surprise par cette phrase imprévue, elle rit derrière sa main avant de répondre. Puis la scène commença, mais sur un autre ton que celui de Mauricette. Entre elle et ses deux sœurs, il y avait toute la distance du pensionnat à l’école primaire. Lili parvenait quelquefois d’un saut à franchir le pas ; sa fantaisie et son instinct suffisaient à la conduire. Charlotte ne parlait que le langage du réalisme obscène et sentimental. Le rôle qu’elle acceptait, qu’elle avait même demandé ne ressemblait guère aux types de Bruant. C’était celui de la fille lasse et lâche, qui a toutes les servilités, reçoit toutes les injures et (presque sainte mais sans le savoir) s’accuse la première de son ignominie.

Elle prit donc un air douloureux et quand Lili répéta :

« Un drôle de goût.