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Page:Louÿs - Trois filles de leur mère, 1979.djvu/225

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une pareille pour mon goûter à l’école. Mais, pas de bêtises ! Si tu me fous la vérole ; c’est pour le coup que je te fais coffrer !… Je l’aurai, ma tartine ?

— Ah ! je t’en ferais plutôt deux avec ce que je tire de foutre pour gagner quarante-cinq sous… Là, sous le pont, y a une flaque tous les soirs… Chaque fois que je marche dedans je me fous la gueule par terre… C’est tout ce que tu veux, ma gamine ?

— Et puis laisse-moi regarder. Tiens ! un passant pour toi ! Vas-y ! Je me cache ! »

Le dernier mot : « Je me cache ! » avait bien dix ans. Mais ce fut à peine si on me laissa l’entendre, car le passant… j’appris soudain que c’était moi. Charlotte me dit vite : « Tu comprends ton rôle ? Tu m’engueules, tu te laisses faire, tu ne bandes pas ; et voilà. »

Je me répétai docilement : « Et voilà ! » Cette conception de l’art dramatique était d’une simplicité qui me rappelait Eschyle plutôt que le théâtre contemporain. La scène aurait donc trois parties… Et la troisième était si facile à jouer dans l’état où m’avait laissé Mauricette, que je me résignai même à feindre la première avec assez de naturel pour satisfaire la manie de cette pauvre et belle Charlotte. La seconde partie m’était peut-être aussi peu agréable que la précédente et je ne me voyais pas suivre comme le songe d’une nuit embrasée la personne qui s’approchait. Tout ceci fut cause que mon rôle fut bien mal tenu. Je n’avais nullement rougi d’être inférieur à Mauricette, mais je faillis avoir quelque dépit en reconnaissant que la