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Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/96

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atteint au but, quittes à mourir après y avoir touché, comme le soldat de Marathon, ils allaient et votaient dignes et graves dans le mystère et les fumées de l’ivresse.

Or, cette année-là, comme les élections étaient fixées au 1er mai, il y eut dès le 1er avril, une propagande active et des menées sourdes de part et d’autre pour conquérir les douteux. Naturellement, Abel le Rat et Laugu du Moulin étaient d’iceux.

Un beau matin ou un beau soir, l’instituteur aborda le père Cyprien, vice-président du comité rouge, et lui dit confidentiellement :

— Vous savez, j’ai causé avec Abel ! C’est une affaire faite ; il suffira de le maintenir. Parlez-en à vos hommes !

D’autre part, Cyprien lui disait :

— C’est comme Laugu. Je l’ai confessé : nous le tenons ! Il n’y aura qu’à veiller.

Le même jour, le Gros du Maréchal faisait à ses féaux, les chefs du parti blanc, la même confidence avec la même conclusion :

— Tenir en haleine Abel et Laugu ! On savait la manière !

Le terrible, c’est que le succès dépendait maintenant uniquement du vote de ces deux olibrius, les autres douteux ayant été tellement cuisinés et retournés, tenus et retenus, qu’ils avaient juré de « marcher ».