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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/184

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LE MAL DES ARDENTS

avait appris par un télégramme de Noël ce qu’elle appelait le désastre au moment où elle goûtait chez elle la conversation d’un petit jeune homme à qui elle n’avait plus rien à abandonner. Le vent de la défaite l’avait effleurée. Elle avait imaginé son fils mort, ses rentes supprimées, la fin de cette bonne vie, large, libre et gourmande, l’ère revenue de la gêne. Un affaissement subit de ses traits, un tassement de son corps, l’avaient en quelques minutes fait capituler. Ce fut une très vieille femme qui entra dans cette salle de clinique, poussa un énorme soupir de satisfaction lorsqu’elle sut son fils en voie de guérison et s’assit en bénissant la Providence si longtemps oubliée. Mais comme chez tous les êtres de sa trempe, la peur, la contention, l’angoisse accumulaient en elle des réserves de colère qu’elle avait hâte de débonder. L’imprudente Balbine lui ayant recommandé le silence en reçut le flux. Mais elle n’était pas femme à reculer. Et pendant une demi-heure, devant le malade épuisé, écœuré et goguenard, les deux harengères se couvrirent d’ordures et d’immondices. Il fallut qu’un médecin accouru les mît à la porte.

Quand Rabevel regagna Paris, un mois après, il lui sembla qu’il ressentait les atteintes de l’âge. Quoi ! faudrait-il désormais, à cause de ce viscère fragile, vivre comme un vieillard ! Régime moral, régime de nutrition, régime d’existence, que de règles imposées à lui qui n’en pouvait souffrir aucune. Supporter des règles, lui, allons donc ! Il voulut revoir Angèle mais il la trouva si parfaitement close,