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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/186

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LE MAL DES ARDENTS

avec Balbine lui donnaient pourtant un avant-goût de cette saveur suprême. Ils se battaient quelquefois nus, à coup de poings et de pieds, se mordaient, s’égratignaient, ne s’épargnaient jamais. Souvent il se rendait à son bureau le visage couvert d’ecchymoses et ressentait une volupté amère, mélangée de honte et d’orgueil, à surprendre le regard de ses employés.

Ceux-ci s’étaient naturellement faits dignes de lui. Il entrait en colère à tout propos et témoignait à l’égard de ses subordonnés une grossièreté et une rapacité dont on n’eut pas rencontré facilement les pareilles dans le monde industriel. Ses dépenses croissaient vertigineusement. Son fils faisait en Angleterre une noce crapuleuse et lui coûtait cher ; la vieille Mulot menait un train d’enfer avec les greluchons qui la saignaient ; Balbine dévorait le reste à belles dents ; il fallut quelquefois faire attendre sa pension à Reine et tirer des chèques sans provision ou se faire signer des traites de complaisance. Avec cela, de plus en plus glorieux de son nom et de sa réussite, Bernard voulait être le premier partout ; et, pingre avec ses employés, il tenait dans les restaurants les plus chers table ouverte aux flatteurs. Quelques-uns de ses représentants d’Asie et d’Amérique qui l’avaient eu vite deviné arrivaient régulièrement à Paris sous mille prétextes, le flagornaient, le comparaient à Dieu le Père, couchaient avec Balbine, et laissaient en partant une note fabuleuse en souffrance au Ritz ou au Majestic. La bassesse de ces ruffians était inconcevable ;