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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/209

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LA FIN DE RABEVEL

avec toi de tes propres souvenirs… » Olivier se laissait toujours tenter. Il parlait avec son éloquence contenue et convaincante. Il disait, parmi l’azur des eaux et des fumées champêtres, et comme en délices fondue, l’aurore du vieil Homère retirant aux nuées sa grâce mourante. Il conta ses journées… Le soleil se levait sur Raïatea ; et tout aussitôt l’alizé agitant les orangers faisait frémir les toisons de la montagne et versait dans les vallées heureuses un torrent de parfums. Ainsi tous les matins renaissaient à la vie les hommes des îles ; ainsi s’éveillait-il lui-même.

En culotte et pieds nus comme un corsaire, les poumons emplis des odeurs de la terre et des souffles du large, il descendait à travers les plantations jusqu’au récif de corail où le cocotier berce ses palmes. Une suavité alanguie, une gaieté virginale s’accordaient dans les caprices de la jeune nature. Il les goûtait dans leur plénitude. L’air avait une telle saveur fraîche et fluide qu’il le respirait par gorgées. L’espoir des créations futures créait un tremblement dans les herbes, les chansons, la lumière. Tout était don ; tout était caresse physique : un bonheur s’offrait à lui palpable, qui l’effleurait avec une timidité d’enfant dans une atmosphère irrespirée, sur ce rocher paradisiaque du Pacifique à mille lieues des continents.

Quand un bateau passait à l’horizon, il l’examinait en vieux marin : « Il doit être de la Zeland-Frisco Mail, disait-il à voix haute. Ils avaient quelques bonnes barques sur cette ligne. » Et sifflotant une mélopée canaque, il se rappelait