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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/24

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LE MAL DES ARDENTS

tout drôle, secoué d’une émotion oubliée depuis douze ans ; il prit un fiacre et rentra à son bureau, mais il ne put fixer son attention sur aucun travail et passa quelques heures inutiles, désordonnées et des plus irritantes qu’il eût connues.

Quand il rentra chez lui, il alla d’abord dans son cabinet de toilette, ce qu’il ne faisait jamais ; il s’examina longuement : était-il changé ? Mais non ; certes, plus homme ; deux rides barraient horizontalement son front, deux rides verticales à la naissance du nez marquaient l’habitude de la réflexion et la nature impérieuse du tempérament ; quelques cheveux blancs aux tempes. Dame, se dit-il, nous ne sommes plus jeune, ma foi : trente-quatre ans ! Mais il était resté svelte, souple et droit ; l’œil étincelait de malice derrière le lorgnon. Allons, il pouvait se présenter. Angèle devait être plus marquée que lui. Il se donna un coup de peigne et se rendit au salon. Sa femme venait au devant de lui : « Quelle belle personne cette madame Régis, lui dit-elle à mi-voix ; et qu’elle est gentille ! » Il eut froid au cœur ; il se sentait coupable d’avoir permis le rapprochement de ces deux femmes. Il ouvrit la porte du salon ; les trois visiteurs se levèrent ; il ne vit d’abord, il ne voulut voir que Mauléon, lui serra la main, se détourna légèrement vers Angèle pour la saluer, donna une tape amicale à Olivier sans le regarder et entama immédiatement une conversation cordiale avec le bonhomme. « Quel accueil charmant ! se disait celui-ci ; il est probable que ce Rabevel a quelque