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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/41

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LA FIN DE RABEVEL

raisonnable que toi il me suffirait de te suivre dans cette évocation de souvenirs pour m’amollir de nouveau, pour retomber au péché ? » Ce mot de péché la fit frissonner ; mais quel droit un tel homme avait-il de le prononcer ? Il la comprit.

— Je sais bien, poursuivait-il, que cela ne me va guère de parler du péché ; je n’en parle que pour t’épargner. Car, pour moi… Vois-tu, il vaut mieux que je ne cherche pas à pénétrer ce qui se passe au fond de moi…

Ces paroles énigmatiques irritaient davantage la jeune femme. Elle se sentait enfermée entre sa religion, sa foi conjugale, son amour-propre, cette espèce de désir de savoir ce qui restait encore dans le cœur de cet homme. Elle n’osait le deviner habile à se taire ; le danger pour elle était justement son silence à lui. Qu’il avouât l’aimer encore et elle serait perdue pour lui. Qu’il déclarât ne l’aimer plus et, après le sursaut de la colère orgueilleuse, elle répondrait par un mépris mal célé sous le masque du devoir. Mais il ne disait plus rien à la suite de ces paroles ambiguës. Il la contemplait en silence, tout énervée, prête à le secouer, à le griffer pour se soulager en lui criant : « Parleras-tu ? Parleras-tu ? » et se retenant à grand peine et comme par miracle. Qu’il l’aimait ainsi ; cette nature noble, d’une extraordinaire dignité, si belle, si tendre, si douce, ne le comblait que par la permanence en elle de ces puissances d’orgueil, d’ironie et de violence. « Ainsi, dit-il, l’Amour naît des combats : le dieu Mars est son père… »