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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/42

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LE MAL DES ARDENTS

— Vous dites ? demanda-t-elle d’un ton bref.

— Je répète deux vers qu’un poète nouveau, nomme Toulet répétait à un autre poète de nos amis, Louis Gontil qui nous l’avait amené, il y a quelques jours…

Elle haussa les épaules ; le calme revenait ; les yeux violets, sombres dans la colère, pâlissaient insensiblement. Bientôt le visage de la sibylle redevint celui de Sainte Anne. Elle fit un mouvement suppliant, implora Bernard avec une sorte de pudeur timide et charmante : « Pardonnez-moi. » Et elle ne sut pas comprendre toute la difficulté qu’il avait en l’écoutant à maîtriser l’élan qui le poussait vers sa bouche, à lui dire d’une voix distraite : « Bah ! chacun a ses moments d’humeur. » Elle restait étonnée qu’il eût nommé moment d’humeur ce terrible et inconscient appel à la volupté dont elle ne se remettait qu’à peine. Elle se rencogna, inquiète désormais de l’indéfinissable sentiment qu’il éprouvait pour elle. Bernard concevait à peu près quelle sorte d’agitation bouleversait sa compagne ; il n’en était pas mécontent ; il n’y avait qu’à laisser germer, fleurir et mûrir une semence si prometteuse… Il s’appliqua à faire persister, perdant les quelques jours qu’Angèle devait encore demeurer, l’équivoque qu’il avait réussi à créer et qui la maintenait indécise. Il eut l’air de vivre dans une nonchalance d’où elle le tirait mais sans qu’il parût se rendre compte lui-même de la nature de l’influence qu’elle exerçait sur lui ; feignant l’hésitation, il la persuadait davantage de la sincérité d’un émoi qui se discernait mal