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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/167

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LE FINANCIER RABEVEL

ne sais quoi… » Mais le Jésuite ne voulait point qu’il lût encore les grands mystiques : « C’est une boisson trop forte pour vous. L’alcool ne désaltère pas les gorges brûlantes ; il ne les satisfait pas mais les exaspère. Du calme, mon enfant, du calme. » Il poursuivait une sage thérapeutique, indulgente, modeste, à ras de terre. Un jour, Abraham s’écroula à ses genoux ; il avait cédé à une sorte de frénésie du péché ; une femme fort belle et amoureuse qu’il avait retrouvée, qui l’avait repris par la tendresse, vaincu… Il fallut le consoler ; Dieu ne veut pas la mort du pécheur ; le Père n’admettait pas l’air confit, les yeux baissés, il voulait lire dans l’âme des pénitents : seul moyen pour que la harangue s’improvisât toute seule, adéquate à l’oreille préparée à l’entendre, pour que le remède dosât ses constituants (huile, acide) suivant l’état et la blessure du malade. Jamais ce tact du confesseur toujours en éveil ne se trouvait pris en défaut. « La vérité, dit-il un jour à Abraham, c’est que vous, Bernard, Angèle et ce François dont tous les trois m’avez si souvent parlé, vous souffrez du mal de notre époque. Les romantiques ont lu Werther sous toutes ses formes ; qu’il s’appelât René ou Olympio, c’était toujours le même avec un tempérament différent. Nous voyons naître maintenant, dans la génération qui est la vôtre, des Bernard Rabevel. Votre camarade représente le mal qui vous est commun, sous sa forme la plus exaltée et dans un tempérament terrible. Ce n’est plus le désir de mourir des romantiques, c’est l’exaspération du désir de vivre, de