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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/47

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LE FINANCIER RABEVEL

« Ah ! songeait Bernard, ne serions-nous pas heureux en quelque endroit que ce fût ? » Le nom désuet du village les enchantait. Son aspect ruineux satisfaisait ce goût de romanesque dont ils étaient en ce moment imprégnés. Il les attendait là-haut sur son rocher, le petit bourg. Un paysan était parti en avant avec les bagages ; ils traversèrent le Lot. Elle cueillit une branche d’aubépine qu’elle baisa ; puis, la jetant à l’eau, elle adressa la parole à la rivière avec une ferveur gamine.

— Je te confie ce message, dit-elle, ma jolie rivière. Apporte-le à la ville silencieuse qui vit éclore notre amour. Il arrivera peut-être cette nuit. Il n’y a pas d’eau sur le barrage ; mes fleurs s’arrêteront près de la porte de l’écluse où, sans doute, d’autres amoureux rêvent comme nous y avons rêvé.

Il y a dans certains gestes spontanés une vertu divine. Ils sont si directement émanés de l’âme ! ils la traduisent avec une évidence qui, pour une minute, dissipe le mystère et la solitude où chacun se débat. Sortie de sa prison, l’âme, par ce geste, retrouve la sœur qui est en état de grâce pour la recevoir. Bernard prit la main d’Angèle, mais elle lui offrit ses lèvres.

Ils étaient sur le petit chemin qui gravit le coteau entre les arbres. Il sentit en cette minute combien l’amour avait grandi dans son cœur et grondait en lui. Elle avait pris son visage entre ses mains.

— T’es yeux s’obscurcissent, mon amour, dit-elle ; laisse