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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/89

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LE FINANCIER RABEVEL

belle et touchante, d’un timbre rare qu’on n’oubliait pas. Ils furent interrompus par le domestique qui annonçait un Monsieur Goutil.

— Oh ! dit-elle, je l’avais tout à fait oublié. C’est un jeune poète fort riche, très timide, plein de talent et bien gentil, vous savez. Il vient nous voir tous les jeudis à cinq heures. Mes parents devraient être rentrés.

— Il n’est que quatre heures et demie.

— C’est cela, fit-elle en riant, il est toujours en avance. Et, déjà d’un ton complice : « On le fait attendre ? »

— Bah ! qu’il entre !…

Louis Goutil portait sur son petit corps chétif, une tête romantique régulière et charmante, illuminée de beaux yeux rêveurs. Il bégayait un peu et Bernard se rendit tout de suite compte qu’il était amoureux de Reine. Il faisait la cour avec ses yeux, avec l’accent de sa voix, la tournure de ses phrases les plus indifférentes toutes dédiées à l’objet de sa flamme ; il les entretint des dernières créations du symbolisme, du vers libre, de Wagner et de Debussy. Bernard ne l’écoutait guère, il songeait au but de sa visite, il surprit un regard que lui jetait Reine à la dérobée. « Je ne puis plus retourner ici, se dit-il, ou il faudra me déclarer,… se déclarer, épouser Reine… Ou la catastrophe… mais Angèle… » Il se leva. « Écoutez, Mademoiselle, dit-il, d’un ton subitement glacé, vraiment je ne puis plus attendre ». Il la sentit bouleversée. Elle l’accompagna sans mot dire, laissant là son visiteur, jusqu’à la porte d’entrée.