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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/115

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LA JEUNESSE DE RABEVEL

de vie aimable et aisée, ce n’était pas là justement une épreuve ? Il quitta ses camarades ; dans le vestibule, un chapeau de Claudie lui rappela la scène de tout à l’heure : il revit la gorge à peine voilée de la jeune femme, il en sentit le parfum et de nouveau ce baiser écrasé de figue mûre ; encore une fois toutes ses théories théologiques se présentèrent et vacillèrent. Il les éprouva détachées du bloc de sa personne propre, prêtes à tomber ; il s’y raccrocha désespérément en faisant en lui une espèce de nuit. Des souvenirs terribles lui venaient : Jouffroy perdant la foi en quelques heures dans une tempête intellectuelle, tel autre philosophe, tel pénitent sur la voie de la sainteté, subitement égarés d’un coup ; il observait que ces hommes avaient eu précisément le caractère orageux et impulsif, l’intelligence prompte et dure qui étaient les siens. Il sentit la peur ; plus que jamais il se raccrochait. Il se refaisait les raisonnements métaphysiques du Père Régard, se récitait des preuves : mais que cela lui paraissait pâle et flou ! il marchait là, dans la vie, son pas était élastique sur le sol ferme ; il coudoyait les passants ; parfois une chair de femme s’appuyait à lui dans la foule ; que ces raisonnements étaient loin ! Et puis enfin, Dieu, s’il existait… (S’il existait ! Mais oui, il existait, malice du Démon !) enfin, Dieu n’avait pas fait la morale de l’Église ; et, avec celle-ci, d’ailleurs… La casuistique qu’il n’avait jamais songé à appliquer à sa défense vint à lui, indulgente et bienfaisante. Il y pressentit tous les repos