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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/150

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LE MAL DES ARDENTS

triste et profond, il lui fit entendre le son unique que lui-même avait perçu pour la première et, il le savait bien, la seule fois. Elle ne s’y trompa pas. Ce sauvage l’aimait, autant qu’il pouvait aimer certainement et comme il savait ; elle comprit bien qu’un sentiment désintéressé dans un cœur pareil était la chose rare et sans doute l’unique : elle avoua qu’elle n’avait pour François qu’une bonne et profonde affection.

— Il faut le lui dire, avec ménagements, concédait-il, mais enfin d’ici demain soir. Moi je serai fixé sur la situation que pourra me réserver Blinkine et je vous verrai après-demain seulement pour éviter tout commérage. Mais je vous écrirai d’ici là.

Elle se sentait sans courage devant la corvée qui lui restait à remplir. « Et mon père qui est reparti ? » dit-elle. Comment arranger tout cela ? Mais il avait réponse à tout ; elle le sentait déchaîné, dévastateur, emporté comme un torrent et, pour tous les êtres humains, un frère terrible dont la tendresse était à elle seule réservée. Il la pressa, la convainquit, la calcina de sa flamme, et sur un long baiser la laissa palpitante, fervente et toute comblée.

Il quitta la villa, éclatant de bonheur, possédé d’une envie de crier la chose nouvelle sur les toits ; il était fort, il était puissant, il était le maître du monde. Il remarqua avec plaisir qu’une jeune femme fort correcte d’allures s’était attardée à le regarder ; la joie fleurissait son visage, enlevait toute trace de fatigue ; il examina avec complaisance