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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/156

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LE MAL DES ARDENTS

aime comme j’aime, dit-il, c’est pour l’éternité. Si elle mourait, je n’aurais jamais d’autre femme. Et je suis si heureux, si heureux ! » Bernard mordu de jalousie, se taisait ; il lui semblait qu’il haïssait à cette heure l’inconscient ami qui se suspendait à son bras. Il le laissa s’épancher, puis :

— Mais es-tu bien sûr qu’elle t’aime ?

François fut interloqué. Alors Bernard inocula le poison peu à peu : des camarades de si longue date risquent beaucoup de se tromper sur leurs sentiments ; d’ailleurs cette petite, bien que de conduite irréprochable, était bien exaltée, la tête guère solide et le cœur peut-être bien léger. Trois ans, c’est long. Puis aussi elle n’était pas d’une race de marins, que se passerait-il quand ils seraient mariés, lui si loin d’elle ? Enfin, tout cela, il le disait dans l’intérêt de François, lui-même aurait autrement fait son choix. Qui sait aussi si déjà Angèle ne se repentait pas ? intelligente comme elle l’était, peut-être avait-elle réfléchi ? À la place de François, il insisterait, verrait si nulle réticence n’entrait dans cette adhésion.

Tout cela était dit si affectueusement que le naïf Régis n’y sentit point de duplicité. Mais il répondit qu’il ne voyait pas pourquoi Angèle l’aurait trompé. « Elle est belle, elle peut prétendre aux plus beaux partis ; sa famille est honorable. Elle jouit de la meilleure réputation dans son petit bourg de La Commanderie, un patelin endormi au fin fond du Rouergue et où Angèle est née comme son père, son grand-père et une kyrielle de générations successives. Oui,