Aller au contenu

Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
LE MAL DES ARDENTS

compter sur moi. Et puis, je peux toujours voir ? » Il dit à voix haute « : C’est à voir. Préparez-moi un dossier que j’étudierai cet après-midi et si l’affaire me paraît intéressante je prends ce soir le train pour Bordeaux afin de voir sur place le matériel et les installations ».

Il rentra à la rue des Rosiers après avoir fait emplette de quelques cadeaux de prix pour Noë et Eugénie ; leur plaisir véritable lui fit du bien. Après déjeuner, il remonta à sa petite chambre du cinquième. Il s’installa à sa table, ouvrit son dossier, mais ne put pas lire et se mit à pleurer tout doucement, disant d’une pauvre voix sans timbre : « Angèle, ma petite Angèle ». À quoi bon maintenant la fortune, la puissance, à quoi bon l’humiliation de ses patrons de la veille, si ce qu’il avait de plus cher ne pouvait plus lui appartenir ! Il sanglotait. Quoi ! il se croyait si fort et il avait lâché la proie pour l’ombre ! En quoi avait-il besoin de cette petite Orsat ; n’avait-il pas parfaitement réussi sans elle ? N’aurait-il pas réussi avec les seuls moyens de son intelligence ? Et, dérision amère, près de se marier avec Reine il songeait tout à coup que le poids de son hérédité rendait à peu près impossible un tel mariage. Angèle, Angèle ! dire qu’il avait cru que la fortune seule était digne de solliciter l’activité d’un homme comme lui ! Mais qu’était-il donc ? Lorsqu’il avait Angèle il ne songeait qu’à la fortune ; lorsque la fortune lui souriait le souvenir d’Angèle empoisonnait son bonheur. Il passa une longue heure à se désoler ; la jeunesse reprenait ses droits ; il sentait