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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/225

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LA JEUNESSE DE RABEVEL

d’où il pouvait par la vitre observer le portillon d’accès aux quais sans être vu lui-même. À huit Heures et demie, dans la foule mouvante, il reconnut soudain celle qu’il aimait. Elle était seule ; et là, parmi tant de personnes indifférentes, cette personne divine, comment passait-elle inaperçue ? Ses artères battaient avec violence ; Angèle s’avançait suivie d’un homme d’équipe qui portait sa valise ; il ne semblait pas que rien pût altérer la beauté de son visage ; elle allait sereine, un peu hautaine, et Bernard imaginait qu’elle portait avec elle son paradis. La cohue se pressait au portillon ; pour l’éviter, Angèle s’arrêta un peu à l’écart, offrant à la pleine lumière qui la sculptait sa figure pensive ; Bernard y cherchait avidement la trace du passé récent, leurs amours si ardentes et si brusquement rompues, les stigmates de la possession, rien ne subsistait ; rien n’entamait cette admirable matière : il en fut à la fois bienheureux et chagrin ; et, plus que jamais, il se sentit épris et prêt à tout sacrifier. « Le bonheur de ma vie est en elle, se répétait-il, en elle seule. »

Elle passa sur le quai. Il se leva alors, enfonça profondément son chapeau dont il rabattit les ailes, releva le col de son pardessus et, de loin, la suivit. Il la vit hésiter un moment et finalement choisir un compartiment où le porteur déposa la valise ; elle lui donna son pourboire, attendit en faisant quelques pas devant le compartiment et jetant les yeux fréquemment sur l’horloge. À neuf heures moins cinq, les employés pressèrent les voyageurs ; elle