Aller au contenu

Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
LA JEUNESSE DE RABEVEL

monta, tirant à elle la portière qui se referma. Bernard se rapprocha du compartiment, se dissimula derrière la voiturette roulante d’un vendeur de journaux ; inutiles précautions : la jeune femme avait levé la glace et lisait tranquillement, il constata avec plaisir qu’elle était seule. Il attendait toujours, le cœur battant plus fort à chaque seconde ; enfin le sifflet de la locomotive retentit ; le train s’ébranla ; et, d’un bond, il fut sur le marchepied, ouvrit la portière, puis, jetant sa valise devant lui, il pénétra dans le compartiment ; tandis qu’il refermait la porte, tête baissée, il entendit les imprécations de l’employé sur le quai : « cause toujours » se dit-il. Il passa devant Angèle sans la regarder, en grommelant une excuse et s’installa dans le coin diagonal ; il avait tiré un journal de sa poche et disparut derrière ses feuilles déployées. Au bout d’un moment, en les écartant légèrement il put observer la jeune femme à la dérobée et du coin de l’œil. Elle avait repris sa lecture : il la retrouvait telle qu’auparavant et même plus désirable encore : un goût d’amour, de jalousie et de meurtre s’infiltrait insidieusement dans ses veines. C’était pour lui qu’elle était là, lui qui l’y avait conduite par son astuce et son désir. Elle était là, oui. Elle ne pouvait s’évader de cette cabane close filant à la vitesse de vingt mètres par seconde. Mais que lui dirait-il et que répondrait-elle ?

Elle ne le regardait pas ; il replia son journal, se leva, retira son pardessus qu’il plaça dans le filet, ôta son chapeau, prit dans sa valise un grand indicateur des chemins