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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/23

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LA JEUNESSE DE RABEVEL

Bernard avalait goulûment ces paroles dont beaucoup lui demeuraient étrangères mais dont le sens général ne lui échappait pas. Il se sentait né premier, au-dessus de tous, et brûlait déjà d’en donner les preuves. Et cette République dont les oncles ne cessaient de parler, elle devait donc l’aider ? Mais le préférerait-elle ? Oui, le maître disait qu’elle aimait pareillement tous ses enfants. D’abord, quels enfants ? Lui-même n’avait aucune mère, il le savait bien. Ensuite on préfère toujours quelqu’un. Allons, on n’allait pas lui dire le contraire, à lui, Bernard, à dix ans ! Pourtant…

Il regarda à la dérobée ses voisins. Puis s’adressant à l’un d’eux, un petit garçon de mine timide, aux yeux candides et tout rêveurs, il lui demanda son nom : François Régis, répondit l’enfant.

— As-tu compris tout ce qu’il a dit, le maître ?

— Pas tout. Mais je sais ce que c’est qu’un armateur, dit le petit garçon tout fier.

Bernard fut blessé de cette supériorité.

— Moi aussi, fit-il sèchement. Et, ayant proféré son mensonge, il se tourna vers son autre voisin qui les observait. Celui-là s’appelait Abraham Blinkine ; il montrait un visage souffreteux, prématurément ridé ; des boutons blancs gonflaient son cou. Il regarda un instant Bernard de ses yeux mi-fermés, luisants d’une intelligence acérée, héritée d’une civilisation vieille de millénaires. Quand le petit Rabevel lui demanda à lui aussi s’il avait tout compris