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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/28

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LE MAL DES ARDENTS

rieur ; mais l’expression du jeune homme taciturne lui fit deviner que sous l’apparente ingénuité de Bernard venait de se cacher quelque petite vilenie et que l’enfant les avait moqués tous les deux. Décidément, se dit-il, il faudra serrer son jeu avec ce jeune diable.

Arrivés sur le pont, Bernard reprit son avance et le père Lazare demanda à Noë ce qui venait de se passer. Toute explication ayant été donnée, il resta pensif. Mais enfin, songeait-il, d’où tout cela peut-il venir ? Les Rabevel sont de fort braves gens, un peu têtus certes et même boudeurs, mais francs comme l’or, bons comme le pain ; et fins avec ça. Et courageux ! On l’avait bien vu pendant les Journées ; le père Rabevel avait fait celles de 30 et celles de 48, et la Commune, encore qu’il fût déjà bien vieux. Bon ; mais ce Bernard n’avait pas l’air lui non plus d’avoir froid aux yeux ; il était donc bien Rabevel. Noë pourtant le prétendait sournois et de tendances cupides, violentes et dominatrices. « Au fait, dit Lazare, je comprends fort bien que vous ayez gardé ce petit qui n’a plus de père, puisque ton malheureux aîné est mort deux mois avant sa naissance, mais enfin sa mère ne pouvait-elle le garder elle-même ? et où est-elle ? s’est-elle remariée et son nouvel époux ne veut-il pas prendre l’enfant ? est-elle malade et incapable de s’en charger ? ou bien est-elle morte ? »

Le petit Bernard s’était insensiblement laissé rejoindre et il écoutait attentivement bien que d’un air indifférent ; mais les deux hommes ne le regardaient pas.