Aller au contenu

Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
LE MAL DES ARDENTS

aurait la calèche de Bansperger. Qu’il serait salué et obéi, que nul ne lui imposerait comme aujourd’hui de faire les commissions, d’essuyer la vaisselle et d’aider aux soins du ménage. Il regardait tous les siens autour de cette table. Bien sûr ils n’étaient pas méchants ; on ne cherchait pas à l’humilier ni à le battre (bien que Noë, ce matin…) mais on lui imposait l’obéissance ; on ne savait pas lui donner ces beaux vêtements, ce luxe, cette pompe qu’il voyait aux enfants riches ; il n’était pas libre ; et s’il disait : « Je veux » il ne faisait naître que des sourires.

— Et penser, disait Lazare en sucrant son café, que si nous autres, pauvres artisans, nous pouvons tout de même déguster ce nectar nous le devons à l’esclavage inhumain qui pèse sur les nègres en Virginie ou en Louisiane, malgré la prétendue abolition…

Bernard osa demander ce qu’on appelait l’esclavage. Et le maître abandonna le langage emphatique auquel l’avait induit le lyrisme déchaîné des poètes, pour expliquer d’un ton naturel la grande misère des nègres, l’opulence cruelle et paresseuse des planteurs, la fabuleuse richesse des courtiers, les vaisseaux chargés de café, la cupidité des armateurs et des spéculateurs. Entraîné par son sujet, il en vint à parler de la Bourse et de la Banque et il conta l’étonnante histoire des cinq frères de Francfort. Il dit comment la bataille de Waterloo les avait par un coup de crayon — ni plus ni moins, Noë, que le coup de crayon dont tu traces ton axe dans le bois de symétrie — par un simple griffon-