Aller au contenu

Page:Lucile de Chateaubriand, ses contes, ses poèmes, ses lettres.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portions au dedans de nous, et qui ressemblait bien peu au monde véritable. Elle voyait en moi son protecteur, je voyais en elle mon amie. Il lui prenait des accès de pensées noires que j’avais peine à dissiper ; à dix-sept ans, elle déplorait la perte de ses jeunes années ; elle se voulait ensevelir dans un cloître. Tout lui était souci, chagrin, blessure ; une expression qu’elle cherchait, une chimère qu’elle s’était faite, la tourmentaient des mois entiers. Je l’ai souvent vue, un bras jeté sur sa tête, rêver immobile et inanimée ; retirée vers son cœur, sa vie cessait de paraître au dehors ! Son sein même ne se soulevait plus. Par son attitude, sa mélancolie, sa vénusté, elle ressemblait à un génie funèbre. J’essayais alors de la consoler et l’instant d’après je m’abîmais dans des désespoirs inexplicables.

Lucile aimait à faire seule, vers le soir, quelque lecture pieuse. Son oratoire de prédilection était l’embranchement de deux routes champêtres, marqué par une croix de pierre et