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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/136

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évident que la proposition de son père ne lui causait pas un médiocre embarras. Enfin elle dit :

— Comment pourrions-nous quitter cette malheureuse jeune personne dans un moment où elle a tant besoin de consolation ? Ne trouvez-vous pas, mon père, que cela serait cruel à nous ?

— C’est pour vous que je parle, ma fille, dit le colonel ; et si je vous savais en sûreté dans l’hôtel d’Ajaccio, je vous assure que je serais fâché de quitter cette île maudite sans avoir serré la main à ce brave della Rebbia.

— Eh bien ! mon père, attendons encore et, avant de partir, assurons-nous bien que nous ne pouvons leur rendre aucun service.

— Bon cœur ! dit le colonel en baisant sa fille au front. J’aime à te voir ainsi te sacrifier pour adoucir le malheur des autres. Restons ; on ne se repent jamais d’avoir fait une bonne action.

Miss Lydia s’agitait dans son lit sans pouvoir dormir. Tantôt les bruits vagues qu’elle entendait lui paraissaient les préparatifs d’une attaque contre la maison, tantôt, rassurée pour elle-même, elle pensait au pauvre blessé, étendu probablement à cette heure sur la terre froide, sans autres secours que ceux qu’il pouvait attendre de la charité d’un bandit. Elle se le représentait couvert de sang, se débattant dans des souffrances horribles ; et ce qu’il y a de singulier, c’est que, toutes les fois que l’image d’Orso se présentait à son esprit, il lui apparaissait toujours tel qu’elle l’avait vu au moment de son départ, pressant sur ses lèvres le talisman qu’elle lui avait donné… Puis elle songeait à sa bravoure. Elle se disait que le danger terrible auquel il venait d’échapper, c’était à cause d’elle, pour la voir un peu plus tôt, qu’il s’y était exposé. Peu s’en fallait qu’elle ne se persuadât que c’était pour la défendre qu’Orso s’était fait casser le bras. Elle se repro-