Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/221

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et tenant une épée de chaque main : toute la patrouille le poursuivait.

— Ah ! don Garcia, s’écria don Juan en prenant l’épée qu’il lui tendait, que de remerciements je vous dois !

— Fuyons ! fuyons ! s’écria Garcia. Suivez-moi, et si quelqu’un de ces coquins vous serre de trop près, piquez-le comme vous venez de faire à l’autre.

Tous deux se mirent alors à courir avec toute la vitesse que pouvait leur prêter leur vigueur naturelle, augmentée de la peur de M. le corrégidor, magistrat qui passait pour encore plus redoutable aux étudiants qu’aux voleurs.

Don Garcia, qui connaissait Salamanque comme son Deus det, était fort habile à tourner rapidement les coins de rues et à se jeter dans les allées étroites, tandis que son compagnon, plus novice, avait grand’peine à le suivre. L’haleine commençait à leur manquer, lorsqu’au bout d’une rue ils rencontrèrent un groupe d’étudiants qui se promenaient en chantant et jouant de la guitare. Aussitôt que ceux-ci se furent aperçus que deux de leurs camarades étaient poursuivis, ils se saisirent de pierres, de bâtons et de toutes les armes possibles. Les archers, tout essoufflés, ne jugèrent pas à propos d’entamer l’escarmouche. Ils se retirèrent prudemment, et les deux coupables allèrent se réfugier et se reposer un instant dans une église voisine.

Sous le portail, don Juan voulut remettre son épée dans le fourreau, ne trouvant pas convenable ni chrétien d’entrer dans la maison de Dieu une arme à la main. Mais le fourreau résistait, la lame n’entrait qu’avec peine ; bref, il reconnut que l’épée qu’il tenait n’était pas la sienne : don Garcia, dans sa précipitation, avait saisi la première épée qu’il avait trouvée à terre, et c’était celle du mort ou d’un de ses acolytes. Le cas était grave ; don Juan en avertit son ami, qu’il avait appris à regarder comme de bon conseil.