Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Don Garcia fronça le sourcil, se mordit les lèvres, tordit les bords de son chapeau, se promena quelques pas, pendant que don Juan, tout étourdi de la fâcheuse découverte qu’il venait de faire, était en proie à l’inquiétude autant qu’aux remords. Après un quart d’heure de réflexions, pendant lequel don Garcia eut le bon goût de ne pas dire une seule fois : Pourquoi laissiez-vous tomber votre épée ? celui-ci prit don Juan par le bras et lui dit : Venez avec moi, je tiens votre affaire.

Dans ce moment un prêtre sortait de la sacristie de l’église et se disposait à gagner la rue ; don Garcia l’arrêta.

— N’est-ce pas au savant licencié Gomez que j’ai l’honneur de parler ? lui dit-il en s’inclinant profondément.

— Je ne suis pas encore licencié, répondit le prêtre, évidemment flatté de passer pour un licencié. Je m’appelle Manuel Tordoya, fort à votre service.

— Mon père, dit don Garcia, vous êtes précisément la personne à qui je désirais parler ; c’est d’un cas de conscience qu’il s’agit, et si la renommée ne m’a pas trompé, vous êtes auteur de ce fameux traité de Casibus conscientiæ qui a fait tant de bruit à Madrid ?

Le prêtre, se laissant aller au péché de vanité, répondit en balbutiant qu’il n’était pas l’auteur de ce livre (lequel, à vrai dire, n’avait jamais existé), mais qu’il s’était fort occupé de semblables matières. Don Garcia, qui avait ses raisons pour ne pas l’écouter, poursuivit de la sorte : Voici, mon père, en trois mots, l’affaire sur laquelle je désirais vous consulter. Un de mes amis, aujourd’hui même, il y a moins d’une heure, est abordé dans la rue par un homme qui lui dit : Cavalier, je vais me battre à deux pas d’ici, mon adversaire a une épée plus longue que la mienne ; veuillez me prêter la vôtre pour que les armes soient égales. Et mon ami a changé d’épée avec lui. Il attend quelque temps au coin de la rue que l’affaire soit terminée. N’entendant plus le cliquetis des épées il s’ap-