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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/266

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Enfin l’inconnu, avançant d’un pas et relevant son chapeau pour montrer ses traits, lui dit : — Me reconnaissez-vous ?

Don Juan le considéra avec plus d’attention, mais ne le reconnut pas.

— Vous souvenez-vous du siège de Berg-op-Zoom ? demanda l’inconnu. Avez-vous oublié un soldat nommé Modesto ?…

Don Juan tressaillit. L’inconnu poursuivit froidement…

— Un soldat nommé Modesto, qui tua d’un coup d’arquebuse votre digne ami don Garcia, au lieu de vous qu’il visait ?… Modesto, c’est moi. J’ai encore un autre nom, don Juan : je me nomme don Pedro de Ojeda ; je suis le fils de don Alfonso de Ojeda que vous avez tué ; — je suis le frère de doña Fausta de Ojeda que vous avez tuée ; — je suis le frère de doña Teresa de Ojeda que vous avez tuée.

— Mon frère, dit don Juan en s’agenouillant devant lui, je suis un misérable couvert de crimes. C’est pour les expier que je porte cet habit et que j’ai renoncé au monde. S’il est quelque moyen d’obtenir de vous mon pardon, indiquez-le-moi. La plus rude pénitence ne m’effrayera pas si je puis obtenir que vous ne me maudissiez point.

Don Pedro sourit amèrement. — Laissons là l’hypocrisie, seigneur de Maraña ; je ne pardonne pas. Quant à mes malédictions, elles vous sont acquises. Mais je suis trop impatient pour en attendre l’effet. Je porte sur moi quelque chose de plus efficace que des malédictions.

À ces mots, il jeta son manteau et montra qu’il tenait deux longues rapières de combat. Il les tira du fourreau et les planta en terre toutes les deux. — Choisissez, don Juan, dit-il. On dit que vous êtes un grand spadassin, je me pique d’être adroit à l’escrime. Voyons ce que vous savez faire.