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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/267

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Don Juan fit le signe de la croix et dit : — Mon frère, vous oubliez les vœux que j’ai prononcés. Je ne suis plus le don Juan que vous avez connu, je suis le frère Ambroise.

— Eh bien ! frère Ambroise, vous êtes mon ennemi, et quelque nom que vous portiez, je vous hais, et je veux me venger de vous.

Don Juan se remit devant lui à genoux.

— Si c’est ma vie que vous voulez prendre, mon frère, elle est à vous. Châtiez-moi comme vous le désirez.

— Lâche hypocrite ! me crois-tu ta dupe ? Si je voulais te tuer comme un chien enragé, me serais-je donné la peine d’apporter ces armes ? Allons, choisis promptement et défends ta vie.

— Je vous le répète, mon frère, je ne puis combattre, mais je puis mourir.

— Misérable ! s’écria don Pedro en fureur, on m’avait dit que tu avais du courage. Je vois que tu n’es qu’un vil poltron !

— Du courage, mon frère ? je demande à Dieu qu’il m’en donne pour ne pas m’abandonner au désespoir où me jetterait, sans son secours, le souvenir de mes crimes. Adieu, mon frère ; je me retire, car je vois bien que ma vue vous aigrit. Puisse mon repentir vous paraître un jour aussi sincère qu’il l’est en réalité !

Il faisait quelques pas pour quitter le jardin, lorsque don Pedro l’arrêta par la manche. — Vous ou moi, s’écria-t-il, nous ne sortirons pas vivants d’ici. Prenez une de ces épées, car le diable m’emporte si je crois un mot de toutes vos jérémiades !

Don Juan lui jeta un regard suppliant, et fit encore un pas pour s’éloigner ; mais don Pedro le saisissant avec force et le tenant par le collet : — Tu crois donc, meurtrier infâme, que tu pourras te tirer de mes mains ! Non ! je vais mettre en pièces ta robe hypocrite qui cache le pied